Sa régularité au plus haut niveau, le record historique de buts avec le club qu’elle a en ligne de mire, la possibilité d’une vie sans football : Laura Bourgouin, pilier de l’ASJ Soyaux, a répondu aux questions de Footeuses.
Vous avez vécu une décennie complète à Soyaux. Quelles images vous viennent en premier en repensant à ce parcours et auriez-vous pensé au départ rester aussi longtemps dans ce club ?
Ce qui me vient en premier, ce sont peut-être plutôt des compétitions, celles que j’ai gagnées. Par exemple les universiades ou la coupe du monde militaire. En club, je songe au parcours avec le Mans, nous étions allées jusqu’en finale (du challenge de France, nom de la Coupe nationale en 2009). Avec Soyaux, nous sommes parvenues à atteindre les demi-finales (en 2014 et 2018). L’année où je suis arrivée aussi s’est très bien déroulée.
Très honnêtement, en arrivant, je ne me suis pas projetée. Faire dix ans ici, je n’ai pas réfléchi à le faire, mais je l’ai fait.
Avec Siga (Tandia) vous êtes un pilier du club, est-ce à vous de passer le plus de messages dans les vestiaires, de recadrer les plus jeunes ?
Avec l’expérience qu’on a, nous pouvons leur donner quelques orientations footballistiques. Leur donner des astuces pour les aider dans leur évolution. Je ne suis pas un leader de parole, Siga l’est sans doute plus en étant capitaine. Je suis plus un leader de terrain. Peut-être que dans les entraînements je vais leur donner quelques indications, lorsqu’une joueuse fait une passe du droit alors qu’elle devrait privilégier le gauche, des petites choses de ce type.
« Ma vie sans le foot ? Impossible de l’imaginer. »
Votre régularité en D1 est impressionnante. Pensiez-vous à cela en commençant à jouer ? Arrivez-vous à concevoir votre vie sans football ?
Sans le foot ? Non ! Alors pour l’instant pas du tout. J’aime faire chaque chose en son temps. J’aime me focaliser sur ce que je fais, comme le championnat en cours, sans anticiper. C’est peut-être un défaut aussi, car je ne me projette pas sur l’avenir. Ma vie sans le foot… J’y pense parfois parce qu’il ne me reste sans doute pas dix ans à jouer… Quoique ! Mais je ne sais pas si j’en serais capable, d’une part physiquement et dans la tête aussi. ‘L’après’ est encore très vague pour moi.
Vous évoquez l’aspect mental… N’est-ce pas trop compliqué de jouer le maintien chaque saison ? Comment trouver la force mentale de ne jamais lâcher ?
C’est difficile de manière générale. Pour une athlète, rester toujours au top, c’est compliqué. C’est certainement valable dans n’importe quel sport. Parfois d’une saison à l’autre, les performances d’une sportive varient beaucoup. C’est vrai que c’est encore plus dur lorsqu’on a une succession de matchs où on ne prend pas de points.
Cela fait trois ans qu’on lutte fort. Je pense que mentalement, on acquiert aussi de l’expérience par là. Quand on joue des concurrents directs au maintien, perdre un match, c’est dur, mais on sait aussi qu’une saison est longue. L’an passé, on s’est sauvé à la fin. À un moment, on met tout de côté et on le fait.
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Chaque saison, la lutte pour le maintien est plus relevée, comment l’expliquez-vous ? Les moyens des clubs augmentent ? Le niveau de la D2 s’est densifié ?
Je pense clairement que c’est financier. Les clubs qui montent et ont un budget qui permet de recruter ne vont pas s’en priver. Bien évidemment que nous n’avons pas les mêmes capacités que le football masculin, chaque club ne peut pas se permettre de prendre plusieurs top joueuses, il faut aussi recruter de manière intelligente.
« Avec peu de moyens, il faut recruter de manière intelligente. »
Je pense aussi que les clubs s’entourent de personnes qui connaissent bien le football féminin et vont observer d’autres équipes, repérer des joueuses qui ont la qualité pour évoluer en D1. C’est un tout mais c’est dans un premier temps financier. Une bonne joueuse aujourd’hui, elle ne vaut pas le montant qu’elle aurait peut-être valu cinq ans en arrière.
Est-ce particulier aussi d’être présente depuis si longtemps dans un groupe où les mouvements sont fréquents, les changements d’entraîneur, même de direction ? C’est facile tout de même de garder des contacts, construire des amitiés dans le football ?
C’est sûr que lorsque la joueuse reste juste un an, c’est plus compliqué de créer une amitié, mais cela m’est arrivé. J’ai des contacts avec des joueuses qui sont parties du club. Cela dépend de la sensibilité de chacun.
À quel point les choses sont-elles différentes entre votre arrivée à Soyaux et aujourd’hui ? Préparation physique, infrastructures, travail vidéo…
Les évolutions sont importantes. Pas au niveau des infrastructures, mais quand je suis arrivée, il n’y avait pas forcément de musculation, pas de préparateur physique. Actuellement, c’est la première saison où nous avons un kiné à temps plein avec nous. Quand je suis arrivée à Soyaux, nous avions trois entraînements par semaine et cela ne nous empêchait pas d’avoir des résultats et d’obtenir le maintien plutôt aisément.
Le niveau a augmenté pendant ces années. Les clubs pro masculins ont par exemple dû se doter d’une section féminine. Tout dépend des clubs et des mentalités, mais il est évident que les évolutions sont grandes. Il y a maintenant divers pôles en France, avant il n’existait que Clairefontaine.
Marquer l’histoire de ce club, c’est quelque chose auquel vous pensez ? Vous êtes dans le top 10 des joueuses les plus capés de Soyaux et la troisième meilleure buteuse de tous les temps du club…
Je n’y pensais vraiment pas du tout ! Et c’est une de mes amies investie dans l’association qui m’en a fait part récemment. Alors devenir la meilleure buteuse, si ça se fait, j’en serais contente, sinon, ce n’est pas grave. Il me semble que je dois inscrire huit buts.
« Devenir la meilleure buteuse de Soyaux, je n’y pensais pas du tout ! »
En tant qu’ancienne Mancelle, vous suivez encore le club ? Que pensez-vous de la saison actuelle du Mans en D2 ?
Quand je suis arrivée à Soyaux, j’avais encore plein de copines qui jouaient au Mans. Puis elles sont parties, j’ai un peu moins suivi. Tout en gardant un œil. Et puis j’ai une sœur qui joue en R1, dans le championnat du Mans l’an dernier, je suivais un peu. Je regarde leurs performances cette saison, elles sont montées en D2 c’est très bien. Et j’ai eu la possibilité de regarder le match contre Lens. Elles font un bon début de saison.
C’était le tirage au sort idéal pour vous alors, ce 16e de finale de Coupe de France au Mans en janvier ?
C’est génial. Jamais je n’avais rencontré le Mans depuis mon départ. Là, j’avais vu que nous étions dans le même groupe pour le tirage. J’ai suivi avec attention. Et puis finalement, c’est ça, Le Mans – Soyaux ! Là-bas en plus… C’est parfait pour moi. Mais attention, ce n’est pas un tirage facile pour nous, le match est ouvert.
On vous connaît aussi comme “Boubou”, toujours souriante dans le groupe. Le foot vous a aidé à rester jeune mentalement et physiquement ? Ou c’est surtout votre personnalité ?
Jeune… Je ne pense pas que ce qualificatif est le premier pour me caractériser et puis sur le terrain de football, j’ai un autre tempérament, je peux m’énerver (rires) ! Maintenant, je pense que c’est l’âge qui me permet de prendre un peu plus de recul. Même si j’ai toujours tendance à prendre les choses à cœur aujourd’hui.
Avec tout ce qu’il s’est passé en trois ans, j’ai appris à prendre un recul qui est à mon sens nécessaire sur certaines situations. J’ai eu 30 ans cette année et le vécu de cette décennie, durant laquelle je crois que nous sommes le club qui a connu le plus d’instabilité, change un caractère.
Propos recueillis par Jérôme Flury
Photo ©ASJ Soyaux