Kaja Korosec vient d’un pays de 2 millions d’habitants, la Slovénie, qui participera à la Ligue A dans les qualifications à la coupe du monde 2027. Pièce centrale du jeu du Paris FC, elle revient sur sa carrière, sa vision du football et ses rêves dans cet entretien.
Pouvez-vous me parler d’abord de votre famille, particulièrement sportive, avec un cousin (Tonček Štern) qui a participé aux JO de Paris en volley-ball ? Vous êtes allée le voir ?
Alors c’est une grande famille, nous avons beaucoup de cousins, quand nous rentrons à la maison, ils viennent nous voir. Plusieurs sont volleyeurs, mes frères sont footballeurs, mon père aussi… Le sport est dans notre famille. Nous avons aussi des judokas. Les Jeux, je ne les ai pas vus en direct mais je les ai regardé à la télévision en encourageant la Slovénie.
Pourquoi votre père, votre grand frère, votre frère jumeau aussi font-ils tous du football ?
Je ne sais pas, mais comme mon père en pratiquait, mes frères ont commencé pour cette raison. Avec mon frère jumeau, nous avions des options pour faire des choses différentes mais nous voulions faire les mêmes choses. Je crois que nous sommes juste tombés amoureux du football dès le départ, même si nous avions aussi fait du judo au départ. AU moment où il a fallu choisir, la décision a été simple à prendre, le foot étant dans notre famille. Notre petit frère aussi s’est mis au football.
« Je suis juste tombée amoureuse du football… »
Comment votre famille réagit à votre début de carrière déjà très impressionnant ?
Ma famille est très fière de moi, et cela même si je n’avais pas joué ici, si j’étais restée en Slovénie. Je pense que lorsque je suis arrivée au Paris FC, c’était comme un grand pas en avant, car j’avais quitté la maison pour la première fois et c’était dur. Mais je crois qu’ils sont fiers de moi peu importe ce que je fais dans ma vie.
La Slovénie est un petit pays, très fort dans de nombreuses disciplines sportives (ski, cyclisme, basket-ball), comment l’expliquez-vous ?
Nous sommes vraiment un petit pays, mais je crois que nous réussissons parce que nous le faisons avec nos cœurs. Personne ne croit en nous, nous le faisons juste d’abord pour nous. Nous nous entraînons dur. Nous faisons tout pour rendre le pays fier. C’est un petit pays, avec un grand cœur.
« La Slovénie est un petit pays, avec un grand cœur. »
Et les Slovènes sont particulièrement fiers de représenter leur pays sportivement sur la scène internationale, comme vous en ligue des championnes ?
Oui, peu de Slovènes jouent en coupe d’Europe. Si je peux en être une, je suis reconnaissante d’avoir cette opportunité. Vous ne voyez pas souvent de football féminin dans les médias slovènes, mais je crois que cela s’améliore et si je peux être une partie de ce progrès en jouant dans cette compétition…
Kaja Korosec 😅
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Tadej Pogacar est un héros local. Est-ce que voir la reconnaissance de vos compatriotes également une source de motivation ?
Oui, nous sommes un si petit pays que lorsque quelqu’un réussit quelque chose sportivement pour la Slovénie, je pense que tout le monde le sait. Nous supportons tout le monde, peu importe la discipline. S’il est Slovène, on est pour lui ! Nous sommes fiers de tout le monde, notamment de Tadej, qui a réalisé d’énormes choses ces dernières années. C’est un héros dans le pays, et pour le sport, c’est une grande chose.
Quand vous avez joué en Slovénie, votre club a changé de nom (ZNK Mura) et vous avez marqué le premier but de ce nouveau club. Qu’est ce que cela représente pour vous ?
Quand nous avons été dans cette période de changement de nom… Beaucoup de choses se passaient au même moment. Les joueuses devaient juste rester ensemble et se concentrer sur le football et rien d’autre. Car c’était beaucoup de stress. Si je suis honnête, je joue juste au football, je me fiche un peu du nom, de l’entraîneur, du stade, je prends juste du plaisir à jouer avec les filles. Bien sûr j’étais contente de marquer le premier but de Mura, je ne le savais même pas sur le coup. Chaque but que je marque, je le garde en mémoire. Quand quelqu’un m’en reparle, je m’en rappelle. Je me souviens de chaque but car c’est un moment spécial.
Vous êtes plutôt à l’aise avec la pression des gros matchs. Pour votre première au Paris FC, en coupe d’Europe, vous avez aussi marqué. Sentiez-vous de la pression ce jour-là, parce que vous aviez changé de club et d’environnement ?
Oui, je m’en rappelle, c’était très stressant au départ, avant le match. Mais une fois que je suis dans le match, je ne sens pas de stress. Même quand en marchant sur la pelouse, je ne me sens pas stressée. C’est comme si rien n’existait, je joue juste au football, je vois la balle comme les joueuses. Je peux ressentir de la pression avant, après aussi. Jamais pendant le match.
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En dehors du football, vous êtes arrivée à Paris. Une ville qui compte autant d’habitants que votre pays. Qu’aimez-vous faire dans cette ville et qu’est ce qui vous y étonne encore ?
Honnêtement, je préfère rester chez moi. Je n’aime pas les grandes villes, les foules. J’aime être seule ou alors avec un cercle restreint de personnes. Paris, c’est beaucoup. Si j’y vais, je dois me préparer mentalement. C’est tellement différent de la Slovénie. En Slovénie tout le monde te remarque. Pas personnellement, mais ils te remarquent comme personne qui marche. Donc quand tu croises quelqu’un, il ne te touche pas. À Paris, les gens marchent comme s’ils sont seuls au monde ! Je n’aime pas ça. Si je vais à Paris, j’y vais pour la ville, les bâtiments, les parcs ou la nourriture (sourire), mais je n’aime pas la foule. Je planifie quand j’y vais.
« À Paris, les gens marchent comme s’ils sont seuls au monde ! »
Vous jouez de plus en plus, quasiment 50 matchs la saison précédente, devez-vous adapter votre préparation mentale/physique avec ce changement ?
Non, mais je fais attention à ce que je fais… Si je me sens fatiguée, je le dis aux entraîneurs et ils m’aident vraiment, allégeant parfois certains entraînements. Je suis honnête avec l’équipe. Car c’est beaucoup de matchs, c’est usant mentalement et physiquement pour le corps et avec toutes les blessures qu’on voit dans le football féminin, on doit être prudent. J’écoute mon corps.
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Parce que vous êtes fatiguée des fois ? Vous jouez tout le temps !
Oh oui, je suis toujours fatiguée. Mais quand il s’agit de jouer des matchs, je ne le suis pas. Je me prépare pour cela alors s’il faut que je dorme la journée entière, pas de souci. Je n’ai aucun problème avec le fait de jouer tous les matchs mais la récupération doit être bonne. Ici, le préparateur physique, l’entraîneur m’écoutent et m’aident à performer le mieux. En équipe nationale aussi, si je dois avoir un jour avec un entraînement réduit, je le dis au coach, je suis honnête sur mon état de fatigue. C’est la première chose, être honnête avec soi-même.
« La première chose est d’être honnête avec soi-même. »
Justement, concernant la sélection, vous êtes montée de ligue C à ligue B puis désormais ligue A, quelles sont vos limites ?
Depuis que le nouveau sélectionneur est arrivée, nous progressons. Nous écrivons notre propre histoire, nous gagnons en confiance. Nous prenons chaque match comme s’il était très, très important. Les matchs seront plus difficiles en ligue A mais si nous croyons en nous, nous pouvons le faire. Mais nous avons des difficultés avec les blessures car comme notre pays est petit, nous n’avons pas forcément un grand réservoir de joueuses. Mais nous jouons avec notre cœur. Je pense que nous pouvons battre n’importe qui.
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Les médias commencent à en parler ?
Oui, après, pas encore autant qu’on le souhaiterait. Ils parlent beaucoup de football masculin. Monter de ligue C à A était un bel accomplissement, mais au final, il n’y en a pas eu tellement dans les journaux. Avec les joueuses, nous avons pour ambition de rendre le football féminin plus connu en Slovénie. Bien sûr, c’est un phénomène qui prendra du temps… Peut-être que quand nous jouerons en ligue A, ils en parleront plus.
Vous avez notamment battu l’Irlande de Katie McCabe 4-0 en février, quel a été votre sentiment après ?
Si quelqu’un nous avait demandé avant le match si nous nous contenterions d’un 0-0, nous aurions toutes dit oui. Personne ne pensait que nous allions les battre mais nous y croyions. Nous avons marqué sur chacune de nos tentatives alors c’était fou, émouvant. Après la rencontre, on s’est toutes dit « waouh, ok, on l’a fait, on a battu cette grosse équipe » et nous étions toutes si fières… Je crois que c’est le moment où nous avons commencé à croire que nous pouvions jouer avec les grandes sélections. Ce match nous a fait quelque chose.
« Ce match contre l’Irlande nous a fait prendre conscience de quelque chose »
Vous avez marqué plus de 100 buts dans votre carrière, comment travaillez-vous vos compétences offensives ?
Bon, je marquais en Slovénie, mais ici, je suis plus défensive (sourire). Je dois prendre un peu plus de confiance en moi sur le registre offensif. J’ai envie de marquer plus souvent. Mais si je peux aider l’équipe sur le plan défensif, je suis contente aussi. Clara est là, elle marque les buts (rires).
À ce propos, que pensez-vous de Clara Mateo ?
Alors pour moi, elle est une meilleure personne qu’elle n’est une joueuse et elle est la meilleure joueuse… Alors cela veut dire qu’elle est la meilleure personne que j’ai rencontrée jusqu’ici. Je ne peux que dire de bonnes choses sur elle.
Vous avez aussi joué avec la légende Gaëtane Thiney. Avez-vous appris des leçons auprès d’elle ?
Dès que je suis arrivée, elle m’a accueillie à bras ouverts, elle me donnait des conseils à chaque entraînement, chaque match. Grâce à elle, nous apprenions énormément de choses et c’est une grande dame, une belle personne. Elle nous manque à tous mais j’ai beaucoup appris avec elle. Car elle sait tout. C’était enrichissant de l’écouter sur et en dehors du terrain.
🎙️ Kaja Korošec pense positif après la défaite face à Häcken en ouverture de l'#UWCL #PFCHack | #Korosec | @PFC_feminines pic.twitter.com/CjxjRQoqIB
— L'UEFA en français (@UEFAcom_fr) November 15, 2023
En évoquant une autre légende du football, Alex Morgan s’est rendue célèbre aussi avec son bandeau rose pour les cheveux. Êtes-vous la prochaine référence ou pouvez-vous jouer sans votre bandeau ?
Ah non, c’est impossible de jouer sans. Impossible ! Je n’y pense même pas. Cela a été avec moi depuis le début. Quand j’étais petite, je jouais les cheveux détachés, avec juste mon bandeau alors c’était horrible quand je regarde les photos de l’époque. Mais j’ai toujours joué avec. Je ne l’ai jamais oublié pour un match, jamais.
Pensez-vous que le rôle de milieu défensif est suffisamment considéré aujourd’hui, à une époque où les buts marqués sont toujours considérés comme plus importants que les ballons récupérés dans les statistiques ?
Tout le monde regarde les buts, qui marque, de quelle manière… Clairement, le poste de milieu défensif n’est pas aussi valorisé qu’il devrait l’être. Je veux dire, c’est quand même le cœur du jeu ! Mais quelqu’un qui connaît le foot sait ce qu’implique ce rôle. Il est clair que même lorsque vous regardez les salaires, les prix au mercato, les buteuses sont au sommet.
« Milieu de terrain, c’est quand même le cœur du jeu ! »
Qui sont les meilleurs milieux de terrain que vous ayez affronté ? D’après vous ?
Bonne question, j’aime tout le monde, dans le sens où chacune a quelque chose qu’une autre n’a pas. Il y en a beaucoup d’excellentes. Si vous voulez des noms, j’adore Damaris (Egurrola), Jackie Groenen…

Vous allez bientôt croiser la route du FC Barcelone qui possède les meilleures joueuses au milieu avec Aitana Bonmati et Alexia Putellas, comment avez-vous réagi en apprenant ce tirage ?
Évidemment tout le monde veut jouer contre le Barça. C’est une nouvelle équipe, je n’ai encore jamais joué contre elles, nous verrons. Oui, elles sont les meilleures joueuses du monde, ce sera une nouvelle expérience pour nous, pour moi. Je pense que nous avons fait un bon chemin, nous ne devons craindre personne. Elles peuvent être les meilleures après le match, mais dans le match, nous essayerons d’être les meilleures. Pendant les matchs, je ne pense pas vraiment à qui est dans l’équipe d’en face, je me concentre sur ce que je dois faire, moi et mon équipe.
Quels championnats pourraient vous intéresser à l’avenir ? Lara Prasnikar (Utah) vous a-t-elle déjà parlé de la NWSL ?
Nous avons discuté lors du dernier regroupement, cela ne fait pas longtemps qu’elle y est, elle est impatiente de voir la saison prochaine. Elle m’en parlera plus après. Elle m’a expliqué que c’était comme un grand pas en avant. Je ne connais pas cette ligue, je me concentre plutôt sur l’Europe. Les États-Unis, c’est si loin…
Vous êtes encore jeune, quels sont vos rêves pour l’avenir proche et plus lointain ? Le ballon d’Or, une participation au mondial avec la Slovénie ?
En Slovénie, nous ambitionnons de participer à une grande compétition dans le futur. C’est notre objectif, nous avançons de match en match pour l’atteindre. Me concernant (elle réfléchit). Je n’ai pas forcément de gros objectif pour moi. Nous verrons par la suite…
Jérôme Flury
Photo ©Maël Jegou Alezard/Footeuses
