Lorsque Emmy Bineau a mis fin à sa carrière sportive il y a quelques mois, elle a décidé de publier une vidéo. Si touchante que Footeuses a décidé de partir à la rencontre de cette joueuse qui a joué plus de cent fois en D2 féminine.
Emmy, comment es–tu tombée dans le football ?
Un peu par hasard à vrai dire. Je n’ai pas du tout une famille qui a des atomes crochus avec le football. J’ai commencé à y jouer dans la cour de l’école à la récréation. J’étais la seule fille. Puis très vite, je me suis inscrit dans le club de mon village pour jouer avec mes copains.
Ma sœur jumelle m’a rejoint dans cette voie la saison d’après et c’est devenu une passion qui s’est décuplée d’année en année.
À quel point le football dictait-il ton quotidien ?
J’ai vécu football très vite. Ça dépassait le rationnel. Je n’avais que ça en tête. Quand je ne jouais pas, je regardais des matchs. Tous les championnats. Je me cultivais sur chaque club, chaque joueur de chaque époque. Je voulais être une encyclopédie du football. Ça m’a valu mon surnom « mimipédia » (rires).
Je suis en plus tombée dans la marmite « OM » assez jeune. Je passais mon temps à rafraichir les pages web de tous les sites d’actus du club. J’allais au vélodrome dès que je pouvais. C’était passionnel.
« Je me levais foot, je mangeais foot, je vivais foot. »
Puis j’ai intégré le pôle espoir au lycée et je m’entrainais tous les jours de la semaine sauf le samedi. Je rentrais le vendredi soir après la dernière séance de la semaine au pôle et je m’entrainais à nouveau avec mon club. Je doublais les séances. Je me levais foot, je mangeais foot, je vivais foot.
Quel a été ton parcours footbalistique et quels sont les premiers souvenirs de ta carrière qui te reviennent ?
Mes premiers ballons, je les ai tapés dans le club de mon village dans lequel je suis restée cinq saisons. Ce n’était que du plaisir. Je me souviens que toutes les veilles d’entrainements et de matchs je n’arrivais pas à trouver le sommeil car j’avais beaucoup trop hâte d’être le lendemain pour pouvoir jouer. J’ai de merveilleux souvenirs avec les garçons. J’étais capitaine d’une équipe composée uniquement de garçons, hormis ma sœur et moi. On jouait des tournois avec la sensation de disputer la champions league, avec une adrénaline de dingue. Nous étions une bande de copains avec des parents qui nous suivaient de partout !
À 14 ans, il a fallu quitter la mixité par obligation. Avec ma sœur, nous avons failli arrêter car nous ne voulions alors pas jouer qu’avec des filles. À l’époque, ce n’était pas développé comme aujourd’hui. On ne voyait pas de filles à la télé. Nous n’avions jamais vu une équipe féminine jouer. Nous avons intégré à ce moment là le pôle espoir à Lyon tout en signant à La Véore, club en D2. On s’est vite rendues compte que le niveau était très intéressant et nous avons rapidement pu nous faire plaisir.
Je suis restée de 2010 à 2016 à à La Véore en disputant 120 matchs de D2. C’était un club rempli de valeurs humaines incroyables. Nous sommes descendues fin 2016 en R1 et le club de l’Olympique de Valence a repris les droits sportifs du club. J’y ai donc joué jusqu’à la fin de saison dernière en luttant pour remonter chaque saison.
As-tu un regret dans ta carrière ?
J’en ai un seul. Ce n’est de ne pas avoir réussi à atteindre la D2 avec le groupe exceptionnel que nous avions en 2021-2022 à Valence en échouant en barrages. C’était l’aventure humaine la plus extraordinaire de ma vie. Sinon, j’essaie de vivre sans regrets !
Quels étaient tes rêves ? Jouer au plus haut niveau, pas forcément ?
En rentrant au pôle, je rêvais évidemment de jouer au plus haut niveau. J’ai toujours mis toutes les chances de mon côté pour réussir. Je me suis très vite appuyée sur des prépa mentaux, sophrologues, des diététiciens, prépa athlétiques… J’ai mis ma vie d’adolescente et de jeune adulte en parenthèses pendant un bout de temps. J’ai fait les sacrifices qu’il fallait pour réussir. Mais je suis quelqu’un de lucide et j’ai quand même rapidement compris que je n’avais pas les capacités pour aller titiller la D1.
Donc j’ai mis beaucoup d’énergie pour construire mon avenir professionnel. Mais quand je regarde dans le rétroviseur, je reste très fière de mon parcours. J’ai pu porter le maillot de l’Equipe de France quelques fois en sélections jeunes, j’ai disputé plus de 100 matchs de D2 et surtout je me suis construite en tant que personne grâce à tout ce que j’ai vécu durant ces années.
À quel point était-il difficile de prendre la décision d’arrêter et pourquoi l’avoir fait ?
J’ai muri cette décision pendant longtemps. D’une part, cela devenait compliqué physiquement, ce qui m’a poussé en premier lieu dans cette réflexion.
D’autre part, parce que je m’entraine tous les jours et que je n’ai pas de week-end depuis plus de 10 ans. J’avais besoin de partager du temps avec mes proches. Et puis, cela devenait compliqué avec le travail, où je suis amenée à être en déplacement régulièrement.
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Dernier point, que je partage avec plusieurs filles de ma génération. J’ai ressenti les dernières saisons un « écart » dans les comportements des jeunes. Une volonté de travail et d’apprentissage légère, un « esprit combattif » peu présent et surtout une passion moins importante… J’ai essayé tout au long de ma carrière de transmettre ces valeurs là et sur la fin, je sentais que mon discours passait moins de manière générale. C’était devenu usant et surtout, ça me peinait beaucoup de voir moins de passion et de volonté commune de construire quelque chose ENSEMBLE.
Pourquoi réaliser cette vidéo sur ta carrière ?
Ça a été un processus dans un premier temps personnel de pouvoir poser des mots sur 18 années. De regarder dans le rétroviseur et de me poser la question « qu’est-ce que ces sacrifices t’ont apporté ? ». Puis j’ai eu envie de la partager. Cette vidéo résonne parfaitement pour les personnes qui sont dans le sport de haut niveau. Par exemple ma famille me demande souvent : « Mais pourquoi tu fais tout ça pour du foot ? »
Je voulais réussir à leur faire comprendre tout ce que ça m’avait apporté. Le sport, c’est l’école de la vie. J’ai vécu des émotions incroyables, rencontré des personnes formidables. J’ai voyagé dans toute la France. Je me suis forgé un caractère. J’ai appris l’exigence, l’audace, la résilience, le partage.
« Un grand vide difficile à combler. »
Tu « remercies » le foot. Qu’est-ce qu’il te reste quelques mois après avoir arrêté, au-delà des souvenirs et des amitiés ? Le football te manque ?
C’est évident que les souvenirs sont les seules choses qu’il nous reste dans le cœur. Les capacités que j’ai pu emmagasiner me serviront pour le reste de ma vie dans ma vie professionnelle et personnelle. Pour le moment, le football laisse un grand vide qu’il est difficile de combler. Faire partie d’un groupe, encore plus compétitif, n’a pas d’égal. Et l’adrénaline de la compétition également. Mais je profite de ce temps autrement. Il faut simplement accepter que la vie sera différente sans football dans notre quotidien. C’est un peu comme faire le deuil de quelque chose. Apprendre à vivre sans.
Est-ce que tu as constaté de grandes évolutions dans le football féminin pendant tes années foot, aurais-tu pu penser en commençant ta carrière sportive que de telles évolutions aient lieu ?
Lorsque j’ai démarré, il n’y avait que les filles de l’OL qui en vivaient à 100%. Il y avait peu de spectateurs dans les stades et des infrastructures très précaires. C’est vrai qu’aujourd’hui cela a beaucoup évolué et je suis heureuse de voir autant de filles pouvoir vivre du football. Mais on ne va pas se mentir, à part quelques clubs aujourd’hui, cela reste très précaire en France.
« Pour 95% des joueuses, aucune ne peut épargner pendant sa carrière ! »
On demande aux filles d’être 100% football, sans travail à côté. Mais peu de clubs accompagnent sur l’après carrière, les instances tardent à mettre des mesures en place au niveau des clubs avec un minimum salarial décent. Car pour 95% des joueuses, aucune ne peut épargner pendant sa carrière ! Nous avions 10 ans d’avance en France sur nos pays voisins. Aujourd’hui, nous sommes à la traine. En 4 saisons le championnat anglais nous a dépassé dans tous les domaines. L’Italie commence, l’Espagne aussi. Et nous on ne bouge pas. On continue de diffuser des matchs de D1 avec des caméras amateurs, dans des stades amateurs… pendant qu’Arsenal remplit l’Emirates et le Barça le Camp Nou.
C’est grâce à des femmes et des joueuses passionnées comme Emmy Bineau que Footeuses existe. Si Emmy remercie le football, nous, nous souhaitions remercier Emmy pour l’ensemble de sa carrière et sa disponibilité pour cette interview. Bonne route !
Propos recueillis par Jérôme Flury
Photos ©Emmy Bineau