Où se situe la France dans la carte mondiale du football féminin ? Prend-elle “du retard”, est-elle une “bonne élève” ? Audrey Gozillon, chercheuse et docteure en Staps, a répondu aux questions de Footeuses sur la thématique.
Norvège, Suède, Angleterre, Allemagne, Etats-Unis… Dans son travail de thèse, Audrey Gozillon s’est attachée à observer la pratique du football par les femmes dans des pays pouvant être considérés comme des “figures de proues internationales”, ceux qui ont les taux de féminisation les plus élevés dans ce sport. Et où se situe la France dans ce panorama ?
Quatre éléments propices au développement
Par la lecture d’articles scientifiques anglophones et francophones, la réalisation d’entretiens avec des responsables de la pratique dans les fédérations, la chercheuse a dégagé quatre facteurs clés qui influencent le développement du football féminin. “Les méga événements sportifs, les médias, les politiques publiques égalitaires et enfin les politiques sportives fédérales.”
“Par exemple, en Allemagne et en Angleterre, les Coupes du monde masculine de 1966 et 1954 ont des conséquences sur la pratique car l’engouement national est tel qu’il donne envie aux femmes de jouer au football. Elles organisent des championnats et dans les années 1970, en lien aussi avec les incitations de l’UEFA, en Italie des hommes d’affaires souhaitent prendre en charge le mouvement. Ils organisent de premières compétitions internationales. La France y remportera d’ailleurs un championnat du monde officieux en 1978 à Taipei.”
L’UEFA et la FIFA demandent aux fédérations nationales de prendre en charge cette évolution. Les Fédérations créent alors des commissions féminines. Audrey Gozillon a regardé les “taux de pénétration” du football féminin, en rapportant le nombre de licenciées à la population totale du pays. La France n’est pas le premier, mais affiche des données supérieures (0,11%) à celles de l’Espagne (0,066%), du Portugal (0,02%) et de l’Italie (0,003%). Le problème n’est pas ici.
Politiques de féminisation : l’exemple norvégien
“Ce qui explique surtout le retard dans le cas français, c’est que la Fédération attend 2011 avant de lancer sa première politique à destination des footballeuses. Dans les autres pays, comme en Allemagne et en Norvège, ces politiques arrivent bien plus tôt, dans les années 1970 ou 1980. Entre 1970 et 2011, notre commission féminine est souvent neutralisée, son pouvoir est minime.”
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En Norvège, les premiers plans de féminisation marchent très bien. Après avoir mis en place des règlements et des championnats féminins, une équipe nationale est mise sur pied. “Un nouveau plan est ensuite impulsé. Celui-ci est axé sur la formation des femmes managers dans le football. Ainsi que entraîneures et arbitres, le développement de tournois pour les petites filles dans les districts et la mise en place d’une équipe nationale junior. En une dizaine d’années en Norvège, ils passent de 600 équipes féminines à 2 656 en 1990.” Et la sélection remporte le Mondial 1995.
Un défilé de mode plutôt qu’un match
En France, c’est beaucoup plus compliqué. “La Commission féminine n’a jamais réussi à impulser des mesures incitatives efficaces en faveur du football féminin.” La finale du Mondial masculin 1998 constitue un exemple. “La commission avait demandé à ce qu’on organise un match de football féminin pour promouvoir la pratique. Les dirigeants de la Fédération ont refusé, estimant qu’il était mieux de demander à Yves Saint Laurent de réaliser un défilé de mode pour représenter l’excellence et la beauté féminine.”
Rien à voir avec Suède ou Norvège, en avance. “En Norvège, ils ont tellement atteint un point d’équité qu’ils ont dissous toutes les commissions féminines, le football féminin et masculin est géré dans la même commission”. Heureusement, cela reste tout de même mieux encore que certains pays où le taux de féminisation est encore plus faible, comme le Portugal, l’Italie ou l’Espagne, où les politiques à destination des femmes sont plus tardives, intervenant respectivement en 2014, 2020 et 2021. Mais les choses s’accélèrent.
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Et si la Fédération française était de son côté en train de reculer ? La réussite continentale de l’OL, et du PSG à moindre échelle, est un arbre qui cache une forêt dense. “Leur succès couvre pas mal de dysfonctionnements au sein des clubs de la D1. Les joueuses ont fréquemment des conditions d’entraînement déplorables, n’ont pas accès aux installations des garçons, pas forcément de contrat de travail, etc.”
Comment progresser sur la durée ?
Audrey Gozillon a travaillé dans les Hauts-de-France, où elle a dégagé des points précis, essentiels à la féminisation dans les clubs. “D’abord, le rôle joué par le président. Est-il vraiment motivé ou les garde-t-il parce qu’il a besoin d’aide pour avoir une équipe masculine qui évolue à un haut niveau ? Cela tient aussi au rôle de l’entraîneur : est-il motivé, diplômé ? Parfois ce sont les personnes en service civique dans les clubs qui se retrouvent à coacher les équipes féminines… Et ensuite, la question de la mixité ou non mixité. Quelques clubs sont aujourd’hui 100% féminins. C’est particulier, ce sont soit des présidentes, soit des entraîneurs dégoûtés du foot masculin et qui ont décidé de sortir leur équipe féminine d’un club mixte.”
C’est un fait, les licenciées ont globalement augmenté en France ces dernières années. Véritable avancée sociétale ? “Des politiques incitatives sont mises en place par les ligues et les districts comme Mesdames, franchissez la barrière !… Ce qui joue aussi un rôle, ce sont les règlements fédéraux pour l’obtention des labels. Par exemple, pour obtenir le « label jeune espoir », les clubs doivent disposer d’une équipe U6F-U9F ou U10F-U13F. Je pense aussi, sans certitudes absolues, que la Coupe du monde a eu un impact sur la pratique.”
Seulement, la pandémie de covid a mis un coup d’arrêt terrible à cette maigre progression. L’avenir de la pratique féminine du football reste incertain. Mais les décideurs ont sans doute quelques clés en main.
Propos recueillis par Jérôme Flury
Photo © Nathalie Querouil – Footeuses