Comparaison inutile, retard de médiatisation : le siècle volé à la pratique féminine du football

Le football féminin est souvent comparé à son homologue masculin, notamment en termes de niveau de jeu et de popularité. Il est courant d’entendre qu’il est « moins rapide », « moins technique » ou « moins spectaculaire » que le football masculin.

Si ces comparaisons sont récurrentes, elles ignorent un point essentiel : le football féminin accuse un retard considérable en matière de professionnalisation, non pas en raison d’une quelconque infériorité, mais parce qu’il a été freiné, interdit, sous-financé et marginalisé pendant des décennies. Comprendre ces différences est essentiel pour ajuster nos attentes et orienter les investissements nécessaires à son développement. Aujourd’hui en pleine expansion, le football féminin a encore un long chemin à parcourir pour atteindre l’égalité avec son pendant masculin.

Il y a plusieurs raisons majeures pour lesquelles il n’a pas atteint le même niveau de développement, de médiatisation et de financement. Dans la plupart des pays, le sport féminin a commencé au moins un demi-siècle après son homologue masculin, et il faut de l’investissement pour rattraper ce fossé historique. Revenons donc en arrière.

Quelques dates clés

Si les premières ligues professionnelles masculines datent de la fin du 19e siècle, le football féminin n’a véritablement pris son envol qu’à la fin du 20e siècle. La France a créé son équipe nationale en 1904, mais l’équipe féminine n’a réellement été reconnue par la Fédération Française de Football qu’en 1974. Le championnat, pour sa part, n’a le statut professionnel que depuis juillet 2024. La majorité des joueuses restent employées à mi-temps avec des contrats partiels, souvent payés au niveau du SMIC.

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En Espagne, la première équipe nationale féminine a joué en 1971, mais ce n’est qu’en 1983 que la fédération espagnole (RFEF) a commencé à la soutenir officiellement. Son championnat – la Liga F – fut créé en 1988, mais tous ses clubs ne sont pas encore professionnels. De même, en Angleterre, l’équipe féminine a été créée en 1972, mais il faut rappeler que la Football Association a interdit le football féminin de 1921 à 1970, ce qui a retardé le développement du sport dans le pays. Quant à la Coupe du Monde, la première réunissant des équipes féminines n’a eu lieu qu’en 1991.

Ces dates sont cruciales, car elles montrent clairement que le football féminin a été largement freiné, non seulement par des facteurs sociaux et culturels, mais aussi par des décisions institutionnelles. Ce retard accumulé en matière de reconnaissance, d’infrastructures, de médiatisation et de financement explique largement pourquoi le niveau du football féminin ne peut, à l’heure actuelle, rivaliser avec celui du football masculin.

Des attentes différentes

Il est crucial de souligner que les attentes vis-à-vis du football féminin doivent être adaptées à son histoire. Comparer le niveau de jeu actuel à celui du football masculin n’a pas de sens. Non seulement les femmes ont été exclues du développement du sport pendant des décennies, mais elles ont aussi dû lutter contre des stéréotypes de genre et des discriminations constantes. À l’heure actuelle, les équipes féminines n’ont pas le même niveau de financement, de structures et de médiatisation que leurs homologues masculins.

Ce manque d’investissement se traduit par des conditions de travail inférieures à celles des hommes : équipements insuffisants, salaires plus bas, horaires moins favorables. La bonne nouvelle c’est que tout cela semble changer au fil du temps. La professionnalisation, bien que lente, des clubs jouant en Arkema Première Ligue, permet une certaine stabilité aux joueuses, ce qui les autorise petit à petit à se concentrer uniquement sur leur performance et non plus sur des problèmes adjacents au football.

Les pistes d’amélioration

Le soutien au football féminin ne se limite pas aux aspects financiers. Certes, des investissements dans les infrastructures et les salaires des joueuses sont essentiels, mais il est tout aussi important de veiller à une mobilisation collective visant à créer un environnement favorable à la pratique, à la visibilité et à la reconnaissance des talents féminins. En valorisant les parcours inspirants, en renforçant l’engagement communautaire et en assurant une couverture médiatique adéquate, nous contribuons à l’essor d’un football féminin fort et durable. De plus, la sensibilisation des jeunes filles à la pratique du football dès le plus jeune âge est un levier fondamental pour encourager leur participation et leur donner des opportunités équivalentes. Il est aussi nécessaire de permettre une représentation équitable des femmes dans les instances dirigeantes du sport.

Le soutien au football féminin passe également par la lutte contre la misogynie et les discriminations. Cela requiert une vigilance accrue des instances en charge de l’organisation structurelle de ce sport.

Il est nécessaire pour leur permettre d’avancer, de ne pas entraver le parcours des joueuses par des conditions de jeu désastreuses : comme ces terrains pleins de boue dont on ne permettrait jamais l’accès à des joueurs professionnels. On pense également à Sonia Bompastor, ex capitaine de l’Équipe de France et entraîneuse de Chelsea, qui raconte dans son livre « Une vie de foot » comment elle a dû jouer un match de phase finale de Ligue des Championnes avec des chaussures trop grandes pour elle et donc rembourrées avec du coton et des chaussettes. Autre exemple, Leah Williamson, capitaine de l’équipe d’Angleterre et joueuse d’Arsenal, a fait mention lors de l’Euro 2022 du souhait de nombreuses de ses partenaires de pouvoir porter des couleurs alternatives au blanc sur leur short, qui les gène en période de règles.

Le football féminin est un sport impliquant des acteur·ices différent·es, et de tels exemples rappellent qu’il faut donc le traiter avec davantage d’attention pour faire face à toutes ses problématiques et lui accorder toute la dignité et le respect qu’il mérite.

Pas 50 ans de retard mais un siècle volé

Pour permettre au football féminin de s’épanouir pleinement, il est crucial de ne plus le considérer comme une version inachevée du football masculin, mais comme un sport à part entière, avec ses propres enjeux et spécificités. Plutôt que d’attendre un hypothétique retard comblé, chacun·e d’entre nous peut contribuer à son essor dès aujourd’hui, à son échelle.

Regarder les matchs, suivre les clubs et les joueuses sur les réseaux sociaux, en parler, défendre leur place face aux critiques sexistes, il s’agit déjà d’engagements forts. À plus grande échelle, les fédérations et sponsors doivent garantir aux joueuses des conditions de travail dignes, des salaires justes et une médiatisation à la hauteur de leur talent et de leur investissement.

Mais la question qui se pose est aussi celle du modèle à suivre. Veut-on d’un football féminin qui reproduise à l’identique les dérives du football masculin, avec son argent-roi, ses pressions économiques et ses inégalités ? Ou peut-on imaginer un avenir différent, où la croissance du sport se fait de manière plus équitable, plus saine et respectueuse des différent·es acteur·ices ?

C’est là tout l’enjeu : aider le football féminin à grandir, non pas pour qu’il devienne un calque du football masculin, mais pour qu’il trouve sa propre identité et son propre équilibre.

Charlie Tott

Photo d’illustration © Antoine Andreani/Footeuses

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