Incontournable en club à Bordeaux, appelée plusieurs fois en sélection sans jouer, Julie Thibaud se livre dans un grand entretien. Découvrez la première partie, où il est question de l’évolution de la D1 Arkema et la dynamique des Girondines.
Julie Thibaud, que représentent les Girondins de Bordeaux pour vous ?
Je viens de la région Nouvelle-Aquitaine, de Niort exactement, donc Bordeaux est un des clubs majeurs de la région. Quand on est petit, on achète les maillots des Girondins. On rêve tous de jouer pour ce club, aujourd’hui c’est mon cas et c’est une grande fierté. C’est un club qui a une grande histoire, notamment chez les garçons. Mais avec les filles, nous commençons à l’écrire avec une première qualification en Coupe d’Europe.
Vous vous considérez à quel stade de votre carrière ? À 24 ans, vous n’êtes plus une jeune espoir mais pas encore une cadre indiscutable ?
Avec ce qui s’est passé cet été, le renouvellement du groupe et la venue de très jeunes joueuses, même à 24 ans on se retrouve parmi les plus anciennes, donc nous avons ce rôle de cadre à avoir. Ce qui ne me dérange pas. J’ai pas mal d’expérience en D1, j’ai été appelée en sélection, je prends ce rôle dans le club avec plaisir. Les jeunes sont à l’écoute, nous essayons aussi d’apprendre d’elles, c’est un échange.
Un jour, tu arrives en étant la petite jeune et puis avec les années, tu gagnes ce statut de manière implicite. Sans nous le dire directement, on nous a fait comprendre que les joueuses d’expérience devaient accompagner les arrivantes.
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Quel a été votre sentiment cet été alors que toutes les rumeurs circulaient sur le club et que des départs étaient à signaler ?
C’est vrai que cela a été particulier. Nous étions comme tout le monde, dans l’inconnu. Il y a des jours où on nous disait de ne pas s’inquiéter, d’autres où c’était le cas, mais nous avions peu d’informations internes. Parfois en vacances on se déconnecte un peu mais là c’était impossible. La direction était fortement occupée à gérer cette crise.
Aujourd’hui, on s’en est sorti, le club est encore derrière nous. Beaucoup de monde s’est investi pour éviter que Bordeaux ne s’effondre.
Dans ce contexte, quel regard portez-vous sur votre classement actuel (7e de D1) ? Logique ou frustrant ?
Les deux ! En début d’année, nous aurions directement signé pour avoir ces points-là à ce moment de la saison. Mais nous avons ce côté compétiteur en nous disant qu’il y a deux saisons nous étions 3e… C’est forcément frustrant d’être passée des barrages de Ligue des championnes au ventre mou du classement. Avec ce qui s’est passé, on a su créer un groupe avec ces nombreuses jeunes qui sont arrivées. Avoir des résultats en D1 est de plus en plus difficile donc on peut être satisfaites de certains matchs, d’avoir ramené des points de Montpellier ou du Paris FC.
Nous luttions avec elles pour la 3e place il y a peu, nous sommes encore à la lutte. C’est une source de motivation. Maintenant, nous ne parlons plus de ce qui s’est passé cet été. Curieusement, au début de l’année, nous sentions tout de même que nous avions quelque chose à jouer, en restant solidaires.
« C’est forcément frustrant d’être passée des barrages de Ligue des championnes au ventre mou du classement »
Comment jugez-vous l’évolution de la D1 ? On a le sentiment que le niveau est plus homogène mais que les choses avancent lentement.
Il est vrai que le football féminin a évolué. De grands championnats passent professionnels, on voit plus les joueuses dans les médias par exemple. Les conditions de la D1 ont changé, quasiment toutes les équipes s’entraînent quotidiennement, dans des conditions plus ou moins professionnelles, mais tout le monde a un minimum d’infrastructures. L’écart se réduit entre Paris, Lyon et les autres équipes mais nous voyons aussi que les deux sont moins performants en Ligue des championnes. Donc, est-ce que c’est nous qui évoluons ou Paris et Lyon qui n’évoluent pas assez vite ?
« J’essaye de faire bouger les choses, pour la prochaine génération de joueuses »
En tout cas, d’après moi, il y a eu des progrès en D1, mais qui ne sont pas grand-chose par rapport à ce qui nous reste à faire. Nous avons été les premiers au niveau du continent avec les multiples sacres de Lyon en Ligue des championnes. Nous avons un peu attendu que les autres pays avancent pour se dire qu’il fallait améliorer la condition des joueuses. Aujourd’hui, tout le monde parle de changer maintenant que les autres ligues ont évolué…
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Il faudrait continuer à s’améliorer même quand on est en haut. Je pense que la FFF prend un peu conscience que l’ensemble du football féminin évolue et qu’il faut changer les choses. Nous essayons entre joueuses, clubs et fédé de mettre en place des conventions pour améliorer les conditions de travail. Cela met du temps, il faut beaucoup de réunions. En tant que joueuse j’essaye de faire bouger les choses, pour les suivantes.
Seriez-vous par exemple favorable à augmenter le nombre d’équipes en D1 ou bien votre calendrier est-il déjà suffisamment chargé ?
Des clubs comme Lyon ou Paris se disent peut-être qu’ils ont trop de matchs. Mais pour une équipe comme nous, le calendrier en deuxième partie de saison n’est pas si lourd. Parfois il peut y avoir des semaines sans match. Il est ainsi possible d’augmenter le nombre d’équipes mais cela ne sert à rien si ces dernières ne sont pas prêtes. Je sais cependant qu’il y a des clubs en D2 qui sont structurés pour cela donc pourquoi pas. C’est une question d’organisation.
Concernant le nombre de spectateurs, comparativement aux pays voisins, il ne décolle pas, cela vous chagrine ?
C’est vrai que quand on voit le nombre de supporters dans d’autres pays, cela donne envie de jouer devant 25 000 personnes. C’est aussi représentatif chez les garçons, je me souviens d’une année où il n’y avait pas tant de monde dans le stade à Bordeaux. Je pense que c’est plutôt culturel.
« Le jour où l’équipe de France gagnera un titre, cela changera des mentalités »
Nous aimerions jouer dans des ambiances folles, cela viendra avec le temps. Nous avons déjà vu l’engouement à la Coupe du monde 2019. Il faut continuer. L’équipe de France fait rêver beaucoup de personnes et fait aussi bouger les choses. Donc je pense que le jour où nous gagnerons un titre avec cette équipe, cela changera des mentalités. Ces compétitions donnent envie aux gens de nous regarder, de nous suivre.
Il est question de professionnaliser le championnat, qu’en pensez-vous ? Il faut faire attention à faire cela correctement ?
Exactement et c’est pour cela que des discussions sont lancées depuis presque un an. On ne veut pas faire n’importe quoi et aller trop vite. En revanche, c’est vrai que ce statut est important pour tout le monde, pour la reconnaissance de notre métier. Nos clubs nous payent parce qu’on joue au foot et pas parce qu’on vend des t-shirts à la boutique par exemple. Avec ce statut, nous pourrons ensuite demander plus de choses, au niveau infrastructures, médical…
Sa blessure au genou, l’équipe de France : découvrez la seconde partie de notre entretien avec Julie Thibaud.
Propos recueillis par Jérôme Flury
Photos ©Nathalie Querouil