Nadia Nadim : « Ce qui nous rend humains est notre capacité à comprendre la souffrance des autres »

La joueuse danoise, très engagée et régulièrement inspirée, a pris la plume pour le site The Player’s tribune, revenant sur son parcours et adressant des messages forts. Nous reproduisons ici son message en français :

Vous savez, parfois cela me brise le cœur de penser à ce que nous sommes devenus en tant qu’Humains.

Je sais que certaines personnes vont me critiquer pour parler de cela. Ils vont dire que les athlètes devraient en rester à leur sport parce qu’ils ne sont pas des politiciens ou quoi que ce soit. Mais je pense que c’est n’importe quoi. Chacun – chacun – a une responsabilité d’essayer d’améliorer les vies des autres.

Et à cause de mon histoire – l’exécution de mon père, ma fuite depuis l’Afghanistan – je sens que ma responsabilité est encore plus grande.

En ce moment, tout le monde parle des manifestations à propos de « Black lives matter » et du meurtre de George Floyd, et c’est si important. J’aime voir ces gens dans les rues, levant leurs poings, protestant contre l’injustice raciale. J’espère que cela peut conduire à un vrai changement. Mais il existe une autre crise humanitaire dans le monde dont je veux être certaine que nous n’oublions pas. Un nombre très important de réfugiés n’a nulle part où vivre, nulle part où aller, rien à manger. Beaucoup sont empêchés d’entrer en Europe. Certains peuvent venir mais sont ensuite traités avec suspicion et préjugés. Beaucoup d’entre nous ici POURRAIENT aider… mais à la place nous restons assis et ne faisons rien. Et cela me rend très triste.

Certains demandent pourquoi tous ces réfugiés arrivent dans leurs pays. Soyons clairs : AUCUN ne quitte volontairement sa maison – ses amis, ses proches – pour se rendre quelque part où ils risquent de ne pas être acceptés. Qui ferait cela volontairement ? PERSONNE ! Ils sont forcés de faire cela. Certains sont littéralement en train de fuir la GUERRE.

Certains diront alors, « Oui, mais pourquoi ne restent-ils pas pour se battre ? »

Mais si vous dites cela, c’est que vous n’avez jamais été réellement en danger. Vous vous souvenez lorsque le Covid-19 est arrivé et que tout le monde s’est précipité vers les supermarchés pour acheter du papier toilette comme si la fin du monde était proche ? Cela correspond sans doute à 0,0001% du danger auquel ont du faire face certains réfugiés.

Bien que je sois réconfortée par les manifestations Black lives matter, je sens toujours que trop de personnes sont devenues insensibles à propos de ce qui se passe dans certaines parties du monde. Regardez l’une de ces campagnes d’aides pour l’Afrique, où les enfants souffrent de la faim. Les gens le voient, au sens propre, mais ils n’en prennent pas réellement conscience. Vous comprenez ? Mais en revanche, imaginons que vous viviez au Danemark, où je suis arrivée lorsque j’avais 12 ans, ou dans n’importe quel autre pays privilégié. Si deux Danois meurent ou sont tués en Afrique, en Syrie ou n’importe où, cela devient soudain une grosse information. Vous vous dites : « Oh mon Dieu, ils étaient Danois ! »

J’aimerai aider les Européens à mieux s’identifier à ces parties du monde. C’est la raison pour laquelle je suis tant investie dans des organisations de charité et des organisations non gouvernementales. La plupart des gens au Danemark me connaissent, donc si je me rends au Kenya et qu’ils me voient là-bas, ils se disent, « Oh, c’est Nadia ». Et alors ils voient ce qui s’y passe et ils poursuivent, « Oh mon Dieu, regardez! Ces gens souffrent ! »

Nadia Nadim évolue au PSG depuis 2019 ©Laura Pestel

Et c’est plutôt ce que je souhaite faire avec cet article. Si vous ne m’avez pas encore vu à la télévision, si vous ne connaissez pas mon histoire, si vous ne savez pas ce que c’est que de fuir la guerre (et Dieu merci, j’espère que vous ne savez pas) – accrochez votre ceinture.

Ce n’est pas un voyage agréable, et je ne le souhaiterai à personne.

Mais il se déroule dans une partie du monde où beaucoup de réfugiés vivent en ce moment même.

En un sens, cette histoire n’est pas en réalité représentative de celle de la plupart des périples des réfugiés. J’étais censée faire partie des chanceux. Je vivais dans un endroit « sûr ».

Et pourtant, mon enfance consistait essentiellement à éviter des choses qui allaient me tuer.

Comme vous le savez peut-être, l’Afghanistan est en guerre civile depuis longtemps. A la fin des années 1990, lorsque j’étais enfant, les Talibans se sont emparés de Kaboul, la capitale, et ont pris le contrôle du pays. Mon père, Rabani Khan, était général dans l’armée nationale Afghane, et quelqu’un de très influent. Donc à cause de cela, notre famille – moi, mes quatre sœurs et ma mère, Hamida – vivions dans un lotissement clos à Kaboul, près de là où il travaillait. Personne ne pouvait entrer ou sortir sans passer par un portique de sécurité. C’était comme une bulle où nous nous sentions protégés.

Nous savions que si nous quittions cet endroit, tout pouvait arriver. Les talibans n’autorisaient pas les femmes à aller à l’école ou à se promener seules. Il y avait beaucoup de gens dans les rues qui voulaient nous kidnapper afin de demander de l’argent à mon père. Ainsi, nous obéissions toujours aux ordres. Toujours. Dans la maison, oui, bien sûr, tout le monde était rebelle. Mais dès que nous sortions, nous savions que c’était du sérieux.

C’est plutôt simple, vraiment. Quand vous êtes un enfant et que quelqu’un vous dit, « NE DÉPASSE PAS CETTE LIGNE OU TU RISQUES DE MOURIR », vous êtes plutôt du genre, « ok, très bien. Je vais rester là. »

Notre famille était très influencée par la culture afghane. Le statut social est très important ici – vous voulez montrer aux gens que vous vous en sortez bien. Donc, par exemple, si vous avez des invités, même si vous êtes plutôt pauvres, vous servirez la meilleure nourriture que vous aurez. Par ailleurs, les enfants ne sont pas censés parler pendant le dîner. Ce sont de mauvaises manières. Et notre mère ne nous laisserait jouer dehors seulement une fois que le soleil est couché, sinon nous aurions la peau noire. C’est vrai ! A l’origine, avoir la peau noire signifie que l’on est resté dehors travailler sous le soleil toute la journée, et c’est ce que font les enfants pauvres. De même si vous êtes maigres ! Si vous êtes gros, cela veut dire que vous avez une bonne vie et que vous êtes en bonne santé. Et si vous êtes maigres c’est comme si on se disait « oh non, pauvre de toi! »

C’est la manière de penser qu’il y avait en Europe au temps du Moyen-âge, et cela n’a pas vraiment évolué en Afghanistan. Donc oui, ma mère était très touchée par cette culture. Et elle l’est toujours ! Encore aujourd’hui parfois lorsqu’elle me voit et que j’ai du bronzage – et ma peau s’assombrit très vite, ce que j’adore parce qu’être bronzé est génial – elle s’exclame alors « Oh mon Dieu ! Qu’est ce que tu as fait ? Pourquoi n’utilises tu pas de la crème solaire ? » Hahaha !

Ma mère était la seule à prendre soin de nous, parce que nous ne voyions pas souvent notre père. Il était très occupé. C’était bizarre, parce que d’un côté il était ce militaire, mais de l’autre côté, quand il n’était pas trop fatigué, il pouvait jouer avec nous et nous pouvions sauter sur lui et agir comme les enfants que nous étions. Il ressemblait à un agent du CIA ou un espion du KGB vous savez ? Non, vraiment ! Parce qu’il était super intelligent, grand, très sportif. Parfois quand nous nous réveillions nous pouvions le trouver en train de faire des pompes en face de la fenêtre du salon. Quand ce n’était pas suffisant, il prenait une de mes petites sœurs et la mettait sur son dos. Dehors, nous avions cet immeeeeense terrain d’herbe où il pouvait faire des tractions sur des barres parallèles. Un agent du CIA. Je vous le dis.

Il était aussi très sportif. Il avait joué pour l’équipe nationale afghane de hockey et il aimait aussi le football. Nous avions cette balle pointillée en noir et blanc, et je me souviens de ce jour où il a découvert que nous jouions à la balle au prisonnier. Il est arrivé en disant, « Non, non, non, Vous devez utiliser votre pied, dribbler comme cela, faire des passes de cette manière… » J’ai l’impression que c’était il y a un siècle, mais c’est un des rares souvenirs que j’ai de cette époque et c’est un souvenir que je chérirai toute ma vie.

Pour le monde il était le grand, l’important, l’influent GENERAL Rabani Khan. Pour nous, il était juste Padar. Papa.

Un jour en 2000, il est parti en voiture rencontrer un des ministres. Les talibans n’aimaient pas les personnes trop influentes et de nombreuses personnes avaient déjà commencé à disparaitre. Et une fois que mon père est parti se rendre à ce rendez-vous… Et bien il n’est jamais revenu.

Pendant longtemps, je n’avais aucune idée de ce qui avait pu se produire. Je n’avais que 12 ans. Je savais seulement que ma mère était vraiment bouleversée. Ce que vous devez comprendre est que, lorsque votre vie est en danger, personne ne prend le temps de s’asseoir avec les enfants – cinq, pour ma mère – et d’expliquer les choses. Un peu comme lorsque vous êtes à table, vous n’avez pas vraiment un mot à dire sur quoi que ce soit. Vous obéissez juste aux ordres. Mais je savais que quelque chose de grave était arrivé. Habituellement, nous entendions par hasard les conversations que les adultes avaient, comme : « Oh, j’ai vu la main de cette femme se faire couper dans la rue parce qu’elle montrait ses mains. » C’était la même chose cette fois avec mon père. Ma mère était comme, « Oh, c’est bizarre. Il est parti depuis trop longtemps. »

©Jérôme Flury

Bientôt, j’ai commencé à remarquer la panique dans les visages des gens : Ma mère, mes tantes… la vie de mon père était en danger. Cette peur, cette incertitude, est restée longtemps avec moi. Je pense que c’est le pire sentiment que vous pouvez éprouvez. Je ne m’inquiète pas trop du danger, parce que généralement, vous savez ce qu’est le danger. L’incertitude, au contraire…

Ce qui a rendu les choses plus compliquées, c’est que mon père était ce type de mec un peu James Bond qui pouvait faire n’importe quoi, vous voyez ? Et dans mon esprit, cela ne pouvait juste pas faire sens. Comment un homme comme lui pouvait disparaître ? Même des années plus tard, lorsque nous avons appris qu’il avait été exécuté, je ne croyais rien de ce qui lui était arrivé. J’ai cru que je l’avais vu. Parfois je pensais, Ah, peut-être qu’il nous a juste quittés… pour quelqu’un d’autre ? J’ai toujours ressenti comme, Il va revenir, il va revenir, il va revenir…

Et puis un jour, quelqu’un m’a dit, « Je pense que c’est juste un mécanisme de défense. C’est la manière de surmonter la perte de quelqu’un : Vous pensez que vous le voyez partout. »

J’étais comme, oh merde.

Je suis encore émue de parler de cela. Je ne pleure pas souvent mais… oui… cela me bouleverse encore.

Peu importe… oui… c’était en 2000. Ma mère devait décider de ce que l’on devait faire ensuite. Et le seul instinct qui importait vraiment était celui de survivre. Tout dans notre corps, la manière dont vous êtes construits, combattre ou fuir – tout est à propos d’une chose : Comment puis-je survivre ? Et au final ma mère était comme, « Il n’y a aucun moyen pour que l’on reste ici, parce qu’aucun de nous ne va rester vivant. »

Et alors elle a vendu tout ce qu’elle possédait – les deux maisons, l’appartement, les voitures, les bijoux, tout – et alors un jour elle nous a dit que nous allions partir la nuit suivante. Elle était comme, « Ne sortez pas. Ne le dites à personne. Si les gens l’apprennent, nous serions en danger. » J’ai pris deux sacs de sport et les ai remplis de vêtements. Cette nuit nous sommes partis dans une camionnette et nous avons roulé à travers l’obscurité durant je ne sais combien d’heures. Nous sommes arrivés à Karachi, au Pakistan, ou nous nous sommes installés dans un petit appartement avec deux chambres et nous avons attendu que les nouvelles soient bonnes. Chaque jour suivant, nous recevions ce petit et gros Pakistanais moustachu, portant des chaînes en or et ce type de vêtement traditionnel blanc que vous trouvez beaucoup dans les pays islamiques. Il nous donnait des nouvelles sur la situation, car à cet endroit il n’y avait ni de téléphones, ni internet, ni rien. Un jour, il nous a expliqué qu’il avait quatre passeports qui correspondaient à nos profils, ce qui signifiait que ma mère et trois des cinq enfants pouvaient partir. Elle a répondu que ce n’était pas possible.

Environ un mois plus tard, il est finalement arrivé avec des passeports pour tout le monde. le lendemain matin, tous les six nous partîmes dans sa camionnette, vêtus de tenues pakistanaises – sur le papier nous étions désormais une famille pakistanaise. Alors que nous partions, ma mère était comme, « Personne ne dit le moindre mot. » Nous sommes arrivés à l’aéroport et cet homme avançait devant nous comme… vous savez dans le film Ocean’s 13, quand vous avez une équipe travaillant ensemble et qu’ils sont tous en train de marcher et personne ne dit rien, mais tout le monde sait ce qui est en train de se produire ? C’était exactement comme cela. Les gens à l’aéroport savaient ce qui se passait, mais personne ne faisait rien car ils avaient reçu beaucoup d’argent pour cela. Donc nous avons passé la sécurité et nous avons pris l’avion. (C’était la première fois que je m’asseyais dans un avion. J’étais plutôt excitée, je ne vais pas mentir !)

Nous avons atterri à Milan, en Italie. On nous conduit à ce sombre appartement au sous-sol, le genre d’endroit où la moitié inférieure de la fenêtre est sous le niveau du sol. Nous avons deux lits, un canapé-lit, une table sale, des toilettes qui sont remplies – c’est absolument DÉGOUTANT – et une petite télévision qui diffusait du saut à ski sur Eurosport. Tout cet endroit est si pourri qu’on s’assoit juste dans un coin, incapables de dormir.

Deux jours plus tard, ces deux hommes à l’apparence d’Européens de l’Est en jeans et blouson d’aviateur arrivent dans notre appartement et disent « C’est cela. » Ce sont les gars avec qui nous avons affaire désormais. Ils nous conduisent dans cette vieille voiture et s’arrêtent près d’un parking plein de camions. L’un des hommes nous dit, « Quand je vous dis de le faire, vous courrez vers ce camion. » Et c’est ce que nous faisons. Nous montons à l’arrière du camion, qui commence à rouler. Pendant des jours, nous restons assis dans l’obscurité, écoutant le moteur et le vent. Nous avions des bouteilles d’eau et quelques bouts de pains, mais personne n’a bu ni n’a mangé beaucoup car nous n’avions pas de toilettes. Soudain, le camion s’est arrêté. Un homme ouvre la grande porte du fond et hurle, « SORTEZ ! SORTEZ ! SORTEZ ! » Nous sortons. L’homme disparait. Nous, enfants, n’avions aucune idée de ce qui se passait. Tout ce que nous avait expliqué notre mère était que nous partions à Londres, parce que nous avions un peu de famille là-bas. Mais là je me disais, j’imaginais Londres différemment.

Je suis aussi en train de penser, Oh écoute, je pourrai facilement manger tout de suite. N’importe quoi.

Après quelques heures, ma mère trouve un vieil homme qui promenait son chien. Elle lui demande, « Hey, où sommes nous ? »

Il dit, « Hum… à Randers. »

Il s’avéra alors que nous n’étions pas à Londres. Nous étions dans une petite ville au Danemark.

Nous étions choqués, mais au final, tout le monde s’en fichait. On s’en fout, on est en sécurité. Nous sommes ensemble. Nous trouvons un commissariat de police, où un officer s’assoit avec ma mère, vérifie ses documents et prend des notes. Il comprenait la situation. Après un moment, il est venu nous voir, les enfants, et nous a demandé, « J’ai entendu que vous aviez faim ? » Nous ne parlons pas un mot de danois ou d’anglais, mais nous pouvons voir qu’il se frotte le ventre – le signe international de la nourriture, haha ! Nous acquiesçons juste, comme pour dire, OUI NOUS AVONS FAIM ! Il nous emmène dans sa voiture de police jusqu’à un petit commerce où il nous achète des bananes, du lait et du pain. Et j’ai dévoré cette nourriture. (Peut-être encore le meilleur repas que j’ai jamais eu.)

L’officier nous a alors mis dans un train pour se rendre au centre de Sandholm, le plus grand centre d’accueil pour des demandeurs d’asile au Danemark. C’est comme une prison : un maximum de sécurité, de grandes barrières, du barbelé. Ils nous montrent nos chambres, qui ont des lits superposés comme ceux des casernes militaires, et des placards bleus en métal. Ils nous donnent également des pizzas surgelées. Je n’avais jamais vu de pizza surgelée avant. Ce n’est pas vraiment une spécialité en Afghanistan !! On nous dit de les mettre dans le four pour une certaine durée. Elles vont brûler, je ne mens pas. Je me dis, qu’est ce que c’est que ce truc ?

Au camp, nous voyons des gens originaires de partout : Afghanistan, Somalie, Congo, Irak, Arménie, Russie. Vous les appelez, ils sont là. En voyant certains d’entre eux, je me dis, Bon sang, ce gars ressemble à un meurtrier. C’est comme s’ils avaient des cicatrices sur leur visages ou qu’ils ont reçu une balle dans la tête. Un jour nous entendons que quelqu’un sur le camp a été agressé. Nous ne sommes pas surpris.

Pendant que nous sommes là, la police vérifie nos informations. Nous savons que si nos informations étaient mauvaises ou qu’ils pensaient que nous étions des criminels ou quelque chose comme ça, ils nous renverraient. Quasiment chaque matin, nous entendions des officiers toquer aux portes parce qu’ils devaient déplacer des gens. Certains partaient volontairement, d’autres se battaient. Certains tentaient de s’enfuir.

Après deux mois nous sommes déplacés dans un camp de réfugiés bien meilleur, près d’Aalborg. Nous sommes conduits à un tas de casernes, où nous avons nos propres chambres et une cuisine commune. Pour la plupart des Danois ce serait le minimum au mieux.

Pour nous, c’était le paradis.

Le camp est sûr et ouvert. Il y a des familles ici, des enfants de notre âge. Nous passons nos journées dans une école de langue, de neuf heures à treize heures, puis nous nous retrouvions sur une petite zone d’herbe bosselée et nous jouions à cache-cache, ou au football avec deux buts totalement fracassés. Et j’aime ça. J’aime CHAQUE moment de ça. J’ai passé des heures et des heures à essayer de dribbler au milieu des garçons. J’ai commencé à réaliser que j’avais hérité de mon père un peu de sa constitution physique. Une de mes petites sœurs, qui ne s’est jamais intéressée au sport, est également devenue athlétique, avec des muscles secs et une grande vitesse. (Aujourd’hui, toutes mes soeurs sont devenues très sportives. Enfin, à l’exception de l’une d’elles. Elle aime faire du shopping, si cela compte comme un sport.)

Alors que les semaines commençaient à devenir des mois, j’ai remarqué comment chacun sur le camp créait des liens. Il y avait tant de nationalités différentes, mais nous avions tous quelque chose en commun : Nous avions beaucoup souffert, et nous étions inquiets par rapport à ce qui pouvait nous arriver. Ma mère était devenue très proche avec une femme venue d’Irak s’appelant Fatima, qui avait fuit le régime de Saddam Hussein. Aucun d’entre nous ne parlait un mot d’anglais mais ils ont des conversations profondes à travers une sorte de langage des signes improvisé, et je suis genre, QUOI ? Cependant, ma mère perd aussi beaucoup de poids. Elle a perdu son mari et quitté sa maison et elle s’occupe de cinq petites filles, et désormais elle n’a aucune idée de ce qui va se passer ensuite. Allons-nous rester ici ? Allons-nous être renvoyés ?

Chaque matin, les réfugiés vérifient au bureau s’ils ont reçu une lettre. Les lettres disent si vous pouvez rester au Danemark ou si vous devez être expulsé. A chaque fois qu’une famille est autorisée à rester, tout le monde, l’intégralité du camp, fait la fête, et une petite réception se déroule dans la cuisine avec à manger, de la musique et des danses. C’est ainsi que chacun s’est rapproché. Tout le monde flippe.

Un jour, après sept mois sur le camp, j’ai fait une longue randonnée avec Diana, une de mes petites sœurs, dans une zone naturelle derrière le terrain de football. On cherche des baies et on parle juste de trucs.

Diana dit, « Qu’est ce qui nous est arrivé ? »
J’ai répondu, « Je ne sais pas. »
Elle a dit, « imagine si nous pouvons rester. »
Je lui ai dit, « Oh, cela serait trop bien. »
Elle a dit, « Pourrons nous jouer encore plus au football alors ? »
Je lui dis, « J’imagine que oui… »

Quand nous revenons à la caserne, tout le monde est réuni dans la cuisine. On dirait une fête. Quand nous entrons, ils nous félicitent et nous font peur. Maman pleure. Fatima pleure aussi.

Un peu plus tôt dans la journée, une lettre est arrivée pour nous à la réception. Nous avions été acceptées à rester. Et c’est ainsi que mon nouveau chapitre au Danemark a débuté.

C’est comme ça que j’ai eu ma vie.

©Laura Pestel

C’est simplement mon histoire D’autre réfugiés arrivent en Europe avec leurs propres traumatismes et leurs pertes. Certains sont renvoyés. Beaucoup d’autres n’arrivent pas du tout. Certains sont tués avant de parvenir ici. Mais je veux ajouter que même les réfugiés qui sont accueillis dans un nouveau pays ne sont pas forcément acceptés.

Quand je suis arrivée au Danemark, je ne me suis jamais vraiment sentie à ma place. Même pas dans mon équipe de football. Habituellement, les joueuses danoises gardent la tête baissée et suivent les consignes, et font tout ce que leur demande leur coach. Mais maintenant mes partenaires devaient jouer avec cette nouvelle fille d’Afghanistan qui suivait son instinct et jouait avec flair et passion. J’ai reçu beaucoup d’attention négative. Par exemple, quand nous étions en train de nous échauffer, je pouvais prendre la balle et dribler un peu pendant que nous courrions. Et certaines de mes coéquipières diraient : « Oh, elle est une telle diva. » Même mon entraîneur, un homme que je considérais comme mon mentor, était en train de me dire que je devais agir plus comme les autres filles. Il disait, « Pourquoi ne peux-tu pas être comme elle ? » J’ai toujours eu à l’esprit que ce que je faisais était faux.

Heureusement, après un certain temps, j’ai commencé à être plus intégrée, et j’ai commencé à jouer pour l’équipe nationale du Danemark et tout ça – ce qui, croyez moi, m’a donné beaucoup de fierté. Mais si vous creusez un peu plus, je ne me sens toujours pas vraiment acceptée.

C’est difficile à expliquer mais en gros, tu seras toujours vu comme un étranger. C’est comme si c’était simplement un fait. Et je pense que cela s’applique à de nombreux réfugiés. Si des gens peuvent choisir entre eux et quelqu’un qui vient d’une région différente et qui a l’air différent ou a un nom de famille différent, ils iront avec ce qu’ils savent. Vous voyez ? J’ai ressenti ça la plupart des jours de ma vie. Ma grand sœur, Giti, était très, très talentueuse – techniquement, elle était une meilleure joueuse que moi. Mais quand nous sommes arrivés au Danemark, cette mentalité de ne pas se sentir à sa place l’a brisée.

Heureusement, je ne suis pas réellement affectée par cela. C’est simple, vraiment : j’ai traversé tellement de choses, j’ai été si bas, que rien de ce que je vivrai à partir de maintenant ne s’en approchera jamais. J’ai accepté ce qui est arrivé à mon père. C’est toujours douloureux, mais je m’en suis remise. Et maintenant, je suis un peu comme, Que peut-il arriver de pire ? Et j’apprécie vraiment cette sensation. Je ne pense pas que je suis invincible, mais c’est un peu, Sérieusement, vous aurez besoin d’une armée entière pour me faire tomber.

J’ai aussi l’habitude de faire mes preuves plus que quiconque autour de moi. Ce sont les cartes qui m’ont été distribuées, et plus je vieillis, plus j’en apprends sur le fonctionnement du monde.

Mais cela ne signifie pas que nous devons tous juste accepter tout ce qui est injuste.

Bien que je joue pour le Paris Saint-Germain désormais, dans une ville très multiculturelle, je m’énerve quand je vois des choses injustes. J’espère donc que mon histoire vous a donné une idée de ce que cela peut être d’être un réfugié et de ne rien avoir. J’espère aussi que vous serez d’accord avec moi pour dire que la nationalité n’est pas aussi importante que les droits humains fondamentaux. Le monde, après tout, est pour tout le monde.

Peut-être que cela va sembler optimiste, mais j’espère que la période trouble que nous traversons – avec la pandémie, la mort de George Floyd et les protestations mondiales – va nous enseigner quelque chose. Qui est que lorsque tout est enlevé, ce qu’il nous reste, c’est de la compassion et de la gentillesse. Après le Covid-19, plus de gens auront vécu une crise réelle, et ils pourraient donc avoir plus d’empathie pour les réfugiés de guerre – ou des changements climatiques, d’ailleurs. Peut-être que la couverture médiatique de ces réfugiés va devenir plus positive, aussi, ce qui conduira à ce que plus de personnes se disent, « OK, allons aider ces réfugiés. Ils peuvent peut-être apporter quelque chose de bon à notre pays. »

Espérons que cette période pourra raviver un sentiment de compassion, non seulement chez les politiciens, mais chez tout le monde. Même si cela conduit à de petits actes d’humanité, comme demander à votre voisin comment il va. Ces petites choses – une faveur un sourire, un repas pour quelqu’un qui a faim — peuvent avoir un impact sur la vie des gens. Je l’ai expérimenté moi-même.

Honnêtement, je crois qu’un grand changement est possible. Les humains sont capables de bien plus que ce que vous pouvez imaginer. Je ne dis pas que les gens devraient sacrifier leur propre gagne-pain pour aider les autres. Pas du tout. Il faut d’abord s’assurer que tout va bien pour vous.

Mais si vous avez les ressources et l’énergie pour aider, et que vous voyez quelqu’un allongé sur le sol devant vous, j’espère que vous allez tendre la main.

Parce qu’au final, ce qui fait de nous des êtres humains n’est pas l’argent. Ce n’est pas le confort. Non, non.

C’est notre capacité à comprendre la souffrance des autres.

Nadia Nadim.

Retrouvez le texte original sur le site The Players’ Tribune.

Traduction : Jérôme Flury

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