Romane Salvador a 27 ans et enchaîne les prestations de haut vol dans la cage de l’Espanyol Barcelone, alors qu’elle avait failli tout arrêter pour travailler aux États-Unis quatre ans plus tôt. Rencontre avec une gardienne française brillante.
Comment avez-vous décidé de faire du football et pourquoi ce poste de gardienne ?
Si j’ai joué au football, c’était parce que mon papa m’y a mis. Je suis la dernière de quatre filles, il voulait un garçon (rires). Il était président d’un club de foot, il m’emmenait tout le temps aux matchs. Alors, j’ai commencé très jeune, j’ai joué avec des garçons, je me suis fait détecter par l’OL, club que j’ai rejoint à 10 ans.
Concernant le poste… En fait, je jouais attaquante. Mais il n’y avait pas de gardienne en U11, on tournait à la cage. Quand cela a été mon tour, ils m’ont trouvé forte, m’ont demandé si je voulais faire une semaine spécifique, je suis restée. À cette époque, j’habitais à 1h30 de route de Lyon, mon père me conduisait trois fois par semaine, pour les entraînements, puis j’ai enchaîné avec le sport études, je suis partie jeune de chez moi…
Nous reviendrons aussi sur vos années américaines et votre destinée espagnole mais justement, tous ces sacrifices n’ont-ils pas été compliqués à faire à cet âge ?
En fait, je ne me suis jamais rendue compte que c’étaient des sacrifices. Le football, c’était juste une évidence, tout est allé très vite en fin de compte… À 15 ans, j’étais déjà en U19 nationale à l’OL, à peine 17 ans je me suis retrouvée au PSG, où je retrouvais des coachs que j’avais eu à Lyon. Je me suis retrouvé 3e gardienne au Paris Saint-Germain et également à jouer en U19 National, où nous avons gagné le championnat de France. D’ailleurs, j’ai fait quatre années U19, remportant à chaque fois le titre, deux fois avec l’OL puis deux fois avec le PSG… Contre l’OL.
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Mais vous êtes partie aux Etats-Unis, peut-être aussi parce que vous sentiez que vous auriez du mal à gratter du temps de jeu ?
Pas vraiment non. J’étais très jeune. Il y avait Berger et Kriedzynek devant, dans mon esprit, c’était clair, quand j’avais signé pour ma deuxième année là-bas, je leur avais dit : ‘en fin de saison, je pars aux États-Unis’.
Pensiez-vous alors y rester aussi longtemps ? Quels ont été vos souvenirs ?
J’y suis allée en souhaitant passer mon diplôme là-bas dans le management du sport et je me disais, si je suis bien, je reste. En effet, j’y suis restée plus de cinq ans. La mentalité, la culture sportive n’ont rien à voir avec la France. Tout est en grand, on sent que le sport est un vrai business. J’étais à Los Angeles aussi alors la qualité de vie était incroyable. J’ai une personnalité très solitaire. Je n’ai jamais ressenti de manque de mes proches. Ma mère est venue deux fois en cinq ans et je rentrais tous les six mois.

Comment avez-vous fait vos choix de carrière ?
En toute honnêteté, après mes études aux USA, je voulais arrêter le foot. J’avais fait ma demande de visa de travail aux États-Unis. J’avais fini en mai le sport en mai, je prends mon appartement à Los Angeles. Et finalement, fin juin, mon agent me dit que Montpellier cherche une gardienne et je me suis dit qu’il fallait que j’y aille. C’était un peu une décision impulsive. Je suis allée à Montpellier, et en fait, la gardienne de l’équipe jouait tous les matchs. Mais, elle s’est pris un rouge en février, avec une suspension longue et je termine du coup la saison, ce qui m’a permis de me faire voir.
« Tout est venu naturellement, je n’étais pas stressée. »
Est-ce un poste où il est particulièrement difficile de faire bouger la hiérarchie ?
C’est vrai. Me concernant, je ne me suis jamais dit que j’allais en faire mon travail, devenir professionnelle, tout est venu naturellement. Je n’étais pas stressée. L’année à Montpellier, je n’ai pas trop joué. J’en ai souffert et maintenant, les autres gardiennes de mon club souffrent de ma place de titulaire indiscutable. Bien sûr, la meilleure est numéro 1, mais il y a aussi l’expérience qui joue beaucoup.
Comment êtes-vous partie à l’Espanyol ?
Des fois, c’est aussi une question de hasard… Avec Montpellier, nous avions joué le Barça en août en amical. Un an après, quand je pars de Montpellier, le coach des gardiennes du Barça signe à l’Espanyol et il se souvient de moi.
« J’étais un peu dégoûtée du football »
À ce moment-là, c’était un peu compliqué. J’avais fait le choix de quitter les Etats-Unis pour Montpellier, pour finalement très peu jouer, j’étais un peu dégoûtée du football. J’ai passé trois mois entiers sans rien faire. Je signe finalement à l’Espanyol le 15 septembre, la saison ayant déjà repris. Ils avaient trois gardiennes blessées, ils m’ont dit qu’ils avaient des besoins dans l’immédiat mais qu’ensuite, il allait falloir se battre pour la place.
Tout arrive pour quelque chose et au final, je suis aujourd’hui la numéro 1 pour la troisième année consécutive. L’Espagne, j’y allais en vacances plus petite, le frère de ma mère allait là. Au final, j’ai peu de proches en France. Comme on est peu d’étrangères à l’Espanyol, je me suis sentie valorisée, ils sont très accueillants.
Vous aviez dit que pour vous, le championnat espagnol était plus technique, plus tactique que le championnat français, vous le maintenez ?
Bien sûr. En tant que gardienne, les pieds, ici, c’est important. J’ai toujours eu un bon jeu au pied, maintenant, j’ai les deux pieds. Souvent on cherche la passe avec la 6, qui joue avec une troisième joueuse, ou qui me la redonne, alors qu’on est entourées d’attaquantes.
Je sais jouer court, mettre des ballons précis. À la fin de chaque match que je joue en Liga, j’ai souvent des commentaires sur cela.
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Quels sont les points sur lesquels vous avez le plus travaillé depuis vos débuts ?
Je fais 1,70m et là, en Liga, je suis une des gardiennes qui sort le plus sur jeu aérien. C’est un point sur lequel j’ai vraiment travaillé depuis des années. Je n’ai pas peur de sortir, j’y vais pour le ballon et je le prends souvent. Sinon, globalement, c’est l’anticipation sur les ballons qui peuvent être distribués dans le dos de la défense.
Vous rêviez de jouer en NWSL, vous êtes aujourd’hui titulaire dans un gros championnat, quels sont vos objectifs ? Avez-vous déjà eu un contact du côté de la sélection ?
Je me suis en effet inscrite à la Draft à la fin de l’université. Le Houston Dash m’a contactée avant les sélections, je n’ai finalement pas été draftée mais aux USA ils ont un quota de joueuses étrangères et ils se sont rendu compte après coup que cela allait être compliqué. Au final, je suis bien actuellement, et je tenterai sans doute un autre championnat plus tard.
Côté sélection, j’ai été deux fois avec les U19. Sinon non, jamais de contact, je n’ai même jamais été appelée en pré-liste. Bien sûr que c’est un de mes rêves…
Vous avez eu le malheur de perdre cette année votre papa, vous avez dit qu’il était très franc… Comment réagissait-il à vos matchs ? Vous pensez à lui souvent en compétition ?
Si je suis là, c’est grâce à lui. Il regardait tous mes matchs, il les re-regardait en boucle. Et oui, il était cash, des fois, il me disait “qu’est ce qu’il s’est passé sur le but, il avait l’air facile à arrêter ?”, ça m’énervait (rires). On avait un lien très fort, il mettait l’alarme la nuit quand j’étais aux États-Unis, c’était mon fan numéro 1. De ne plus avoir tout cela avec lui, c’est un peu bizarre. Oui, je pense à lui tout le temps. Souvent quand je fais de beaux arrêts.
C’est toujours grisant de faire un arrêt justement ? Comme une buteuse qui trouve le chemin des filets ?
Chaque arrêt est particulier, après, c’est tout de même une histoire de contexte. Si vous prenez l’un des derniers matchs, contre Badalona, je fais un double arrêt à la 93e, je me lève en rage, en criant, le match se finissant sur un 1-1. D’autres arrêts ont parfois l’air spectaculaire mais pour moi, c’est mon taf.
Se’ns acaben els adjectius per descriure les aturades de @salvador_romy98 🤯 pic.twitter.com/F50hBJn3o6
— RCD Espanyol Femení (@RCDEFemeni) November 26, 2025
Quels souvenirs marquants avez-vous de votre carrière ?
Même si cela remonte maintenant, je pense que mon dernier match en U19 Nat avec le PSG est à part. On remporte le titre aux tirs au but contre l’OL, j’en arrête plusieurs et je marque le tir gagnant. Sinon, avec l’Espanyol, le match où on est montées en première division. Mon père était venu, c’est le seul match où il était venu me voir jouer en Espagne. Alors forcément, c’est un beau souvenir.
Jérôme Flury
Photos ©RCDEFemeni
